Assurance x IA générative : les premiers échos du terrain

Assurance x IA générative : les premiers échos du terrain

Alexandre Pengloan
Rédigé par Alexandre Pengloan
05 juillet 2023 - 11 minutes

Plus un jour sans que l’on ne parle du phénomène du moment. Vous l’aurez deviné, il est bien sûr question ici de l’IA générative.

Pendant des années, on a entendu parler d’IA sans bien savoir ce que c’était. Mais ça, c’était avant. Depuis novembre 2022, chaque citoyen peut utiliser l’intelligence artificielle à sa guise avec ChatGPT. Et forcément, ça change pas mal de choses. Les impacts sont potentiellement énormes à tous les niveaux et l’on perçoit une claire effervescence autour du sujet.

Intérêt confirmé par le nombre record d’inscriptions lors de la dernière édition du Club Assurance & Digital de l’ACSEL. L’équipe menée par Nathalie Doré et Eric Mignot avait, il faut le dire, viser juste en proposant un « Demo Day » alléchant. Au menu :

  • un état des lieux sur l’IA générative dans le secteur avec des cas d’usage concrets et bluffants !
  • des témoignages d’insurtechs expertes de l’IA (Zelros, Akur8 et Shift Technology), pour qui les LLM sont un puissant game changer – mais dans quelle mesure, précisément ?
  • les retours de grands groupes qui ne veulent pas passer à côté de la vague. Alors, quelles sont les premières impressions et expérimentations chez Malakoff Humanis, Swiss Re ou SPVIE ?

On vous embarque pour un plein d’insights et, spoiler : la révolution est déjà en marche sur le terrain !

« Tous les benchmarks avec des anciennes IA ont volé en éclats !« 

« Cela fait 37 ans que je fais de l’IA et j’attendais ça depuis longtemps ! » Philippe Limantour est loin d’être un jeune premier dans sa spécialité. Son enthousiasme en dit ainsi long sur le bouleversement en cours. Avec les LLM (Large Language Models), l’IA bascule tout simplement dans une nouvelle dimension. Le Chief Technology and CyberSecurity Officer de Microsoft nous a proposé une démonstration par les chiffres, et par les faits.

L’entreprise à l’origine du modèle OpenAi, qui a donné naissance à ChatGPT, a déjà noué des collaborations avec des partenaires d’envergure dans plusieurs secteurs. Automatisation des processus, accélération de la mise sur le marché des produits, amélioration de l’expérience client. L’impact est déjà réel pour ses clients.

Dans l’assurance, Progressive a notamment déployé un chatbot nouvelle génération. Celui-ci gère 60% des demandes complexes adressées au service client. Les gains pour l’assureur américain : 10 millions de dollars par an.

Techniquement, on observe un basculement des IA spécialisées vers des IA dites généralistes. Concrètement, que cela signifie-t-il ? Phillipe Limantour nous explique.

Contrairement à une IA spécialisée, entraînée pour une tâche spécifique, l’IA généraliste peut naviguer dans toutes les langues ou tous les métiers. Elle est capable de s’attaquer à tout : génération de contenu, de code, raisonnement, conversation… Les limites sont l’imagination. On n’avait jamais eu ce niveau d’intelligence et de capacité de raisonnement. Tous les benchmaks avec des anciennes IA ont volé en éclats.

Et les démonstrations offertes dans la foulée se sont tout simplement révélées bluffantes. Philippe Limantour nous a en effet montré comment l’IA peut :

  • extraire des informations pour résumer un rapport financier complexe à la vitesse de l’éclair ;
  • sublimer un code open source pour, en un clic, générer le visuel d’un planning prévisionnel avec le timing des tâches et la nature des risques ;
  • concocter un rapport de sinistre assurantiel après avoir disséqué la conversation audio entre l’assuré et l’assureur !

Open AI Assurance 1

Les applications possibles apparaissent donc nombreuses et évidentes dans le monde de l’assurance. Microsoft travaille au développement de ses produits « Copilot » dans le but, non pas de remplacer les professionnels, mais de leur apporter un super-assistant capable de potentiellement changer leur quotidien et celui du secteur.

« Votre imagination, un peu de cadre et beaucoup d’IA responsable sont aujourd’hui le cocktail pour repousser les limites ! », conclut Philippe Limantour, n’oubliant pas de souligner la dimension éthique qui sera clé dans le déploiement massif de cette nouvelle technologie.

Zelros, Akur8, Shift Technology : parole aux pionniers

Pionniers IA insurtechs

Damien Philippon (Zelros), Félix d’Alançon (Akur8) et Eric Sibony (Shift Technology)

On a, en France, la chance de posséder un vrai savoir-faire en matière d’intelligence artificielle. Notre écosystème insurtech comprend plusieurs pépites au rayonnement aujourd’hui international. Alors, que pensent-elles de l’IA générative ? Et ces pionnières sont-elles vraiment bousculées par le phénomène ?

Pour être honnête, on n’avait pas vu venir la comète ! C’est assez fou. Des cas d’usage impensables deviennent possibles à implémenter en quelques mois. Depuis le début de l’année, on a donc réorienté notre trajectoire produits autour de l’IA générative.

Les propos de Damien Philippon nous donnent une petite idée de la puissance de l’impact ! Le cofondateur de Zelros, emballé par ces nouvelles possibilités, est donc pleinement lancé dans le virage. Il identifie d’ailleurs 3 cas d’usage appliqués à l’univers de l’assurance :

  • l’hyper personnalisation de l’engagement client, en adaptant à l’extrême le message au client, en fonction du contexte. Des organisations historiquement centrées produit vont, demain, pouvoir enfin devenir centrées client.
  • l’automatisation du self service. Aujourd’hui, les FAQ sont assez basiques, du fait de l’infinie variété des situations et de la complexité des produits. Les LLM permettent d’aller beaucoup plus loin dans le selfcare, boostent l’expérience et réduisent les coûts.
  • une sélection des risques plus précises. La technologie va permettre de mieux adresser les nouveaux risques (cyber, climat, vieillissement de la population). 80% des données au sein d’une entreprise sont des données sombres, qui ne sont pas exploitées. La voix, les documents, les emails, les chats… Il y a une connaissance client incroyable à valoriser ! Dans l’optique de mieux appréhender le risque et prendre de meilleures décisions.

Damien Philippon, fin connaisseur des enjeux liés à l’IA de manière générale, prend soin de ne pas occulter les défis que posent ces évolutions. Il évoque ainsi les questions de sécurité, le problème des hallucinations ainsi que le sujet des coûts et l’impact écologique, dans une optique de passage à l’échelle, qui sont autant de sujets à ne pas négliger. Pour le reste, on est clairement « sur une tendance partie pour être durable ».

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Un nouveau paradigme, donc, qui va nécessiter un travail d’adaptation de la part de l’écosystème. Du côté de Shift Technology, l’équipe recherche avait bien identifié les potentiels des LLM depuis 2017, mais les performances n’étaient pas au rendez-vous. On vient donc d’entrer subitement dans une nouvelle dimension, avec de nouveaux usages possibles identifiés en matière de self care et d’autonomisation des process, en particulier.

La transition ne se fera toutefois pas d’un coup de baguette magique, ainsi que prend soin de l’expliquer Eric Sibony. « Pour tous les assureurs, c’est un nouveau pas à prendre. Il y a eu le cloud. Maintenant, le LLM, c’est un nouveau pas, un nouveau cadre. Les clients doivent être raccords avec cette nouvelle donne et il y a un gros travail de pédagogie à faire », précise le cofondateur de la licorne.

Il convient donc de replacer le phénomène dans un temps plus long, et de ne pas brûler les étapes. Que ce soit sur l’acculturation de l’écosystème, évidemment, mais aussi sur l’appropriation de la technologie en interne. « Une chose importante, c’est que l’IA générative ne va pas remplacer le travail du data scientist. Il peut y avoir des erreurs », avertit Felix d’Alançon d’Akur8.

On souhaite aider nos clients à aller 10 fois plus rapidement, et non pas les remplacer. En ce sens, l’IA générative est complètement alignée avec notre proposition de valeur !

Felix d’Alançon, Head of sales & partnerships chez Akur8

Pour autant, le potentiel de ces nouvelles technologies ne laisse pas la startup parisienne insensible, loin de là. « On imagine des cas d’usage sur la souscription du risque, moins sur la tarification pour le moment, mais ça viendra plus tard, poursuit Felix. Notre conviction a toujours été que l’IA allait venir augmenter le métier d’actuaire. Les LLM confirment aujourd’hui cette intuition. » Des cas d’usage à la fois internes et externes sont dans les tuyaux et nous pouvons compter sur les talents d’Akur8 pour être à la pointe sur ces sujets dans un futur proche.

Acteurs traditionnels, entre action et prudence

On ne le répètera jamais assez, les startups n’ont pas l’apanage de l’innovation. Le potentiel de l’IA générative n’a pas échappé aux assureurs traditionnels, bien évidemment. Certains d’entre eux, à l’image de Swiss Re, sont déjà en action. « Nous avons déjà plus de 50 cas d’usage provenant de différents départements et impliquant toute la chaîne de valeur », explique Yannick Even, référent sur les sujets d’IA au sein du groupe.

Un exemple ? Swiss Re sollicite l’IA générative pour trouver n’importe quelle réponse parmi les 18 millions de contrats que le réassureur possède à travers le monde. Grâce à une couche cognitive placée au-dessus des contrats, la technologie devient capable de traduire, comparer, chercher précisément des informations en un temps record. Potentiellement surpuissant !

Toutefois, la taille de certaines structures, couplée au toujours fameux legacy informatique, impliquent des approches différentes et parfois nécessairement plus prudentes.

C’est notamment le cas chez Malakoff Humanis. Stéphane Barde, Directeur data et digital, se montre ainsi très pragmatique et mesuré. « Nous sommes face à une énorme bulle de buzz. Ce n’est toutefois pas une révolution, mais une évolution de technologies qui existent depuis un moment », assène-t-il d’emblée, avant de préciser : « Notre cheminement consiste à comprendre les technologies, les évaluer, les tester. Et bien identifier les limites. On parle d’hallucinations… mais c’est tout simplement un contenu faux, une erreur, et c’est un vrai problème par rapport à un client ! »

Malakoff Humanis opte donc pour une stratégie pas à pas. Ce qui ne veut pas dire attentiste ! Le groupe mène en effet des expérimentations, sur deux sujets : le transcript de conversations sur les plateformes de relation client, et l’IA générative appliquée à l’image.

Rome ne s’est cependant pas faite en un jour. Il faudra donc de la patience, mais aussi l’implication de tout un écosystème. Stéphane Barde lance d’ailleurs un appel du pied aux acteurs innovants.

Pour intégrer ces évolutions dans nos SI, il faut à la fois des gros acteurs, mais aussi des startups locales qui vont décliner et implémenter des solutions chez nous.

Et ça tombe bien, puisque plusieurs d’entre elles imaginent d’ores et déjà des solutions capables de rendre de fiers services aux assureurs.

Des opportunités de collaborations startups / grands groupes

Zaion était notamment conviée à la conférence, représentée par Alya Yacoubi. Spécialiste de l’IA conversationnelle, la startup élabore des solutions pouvant générer des résumés de manière automatisée. Lors d’une conversation, l’agent peut ainsi gagner en concentration et en efficacité, alors qu’une note récapitulative est directement injectée dans le CRM en fin d’appel. Les champs d’application au secteur de l’assurance semblent ici évidents.

Lara Rouyres, CEO de Levia.ai, était également présente. Elle en a profité pour évoquer un concept exploré actuellement en compagnie de SPVIE Assurances. Il repose sur un widget amené à lever tous les freins à l’achat dans le parcours de souscription. Qui serait capable de répondre, par exemple, à des questions précises comme : « C’est quoi le 100% santé ? » ou « Si je suis myope à xx %, combien serais-je remboursé ? »

SPVIE IA

La question est : comment, aujourd’hui, peut-on optimiser le rôle du conseil sur le digital, sur le sujet de l’assurance santé, et au cœur même du parcours de vente ? On mise donc sur l’outil de Levia pour apporter un conseil éclairé à l’utilisateur comme au courtier.

Jérémy Sebag, cofondateur de SPVIE Assurances

Si aboutir à une version finale satisfaisante n’a rien d’évident (problème des hallucinations, du devoir de conseil, etc.), la promesse fait saliver. Et ce projet laisse augurer de la puissance de l’IA générative dans un contexte où elle sera amenée à enrichir l’expérience, tant côté assuré qu’assureur, d’une manière jamais vue auparavant.

A la question : que va changer l’IA générative dans l’assurance, comme près de la moitié de notre audience sur LinkedIn, on serait tenté de répondre : potentiellement tout !

Passé l’enthousiasme et venu le moment du retour sur terre, il demeure évident que la révolution ne se fera pas du jour au lendemain. Le secteur doit déjà nécessairement entreprendre un fastidieux travail d’acculturation sur le sujet. Il y a aussi cette capacité à bouger techniquement, loin d’être évidente, ainsi qu’on le constate souvent au quotidien. Et enfin, toute la dimension éthique / réglementaire impliquant un chantier d’envergure.

Néanmoins, l’enthousiasme communicatif perçu lors de ce Club Assurance & Digital ouvre de solides perspectives. Le microcosme de l’assurance prend manifestement mesure de la puissance potentielle de l’IA générative. Un bon point de départ pour avancer vite, et fort, sur un sujet qui devrait encore susciter quelques passions dans les mois à venir.

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