L'assurance des voiliers pour le Vendée Globe 2020

L'assurance des voiliers pour le Vendée Globe 2020

Francis Mahut
Rédigé par Francis Mahut
09 novembre 2020 - 10 minutes

Comment sont assurés les bateaux du Vendée Globe ?

L’organisateur de la course n’oblige les skippers du Vendée Globe 2020 qu’à détenir une assurance responsabilité civile pour 3M€ couvrant les dommages causés au tiers, c’est à dire si le voilier venait à percuter, causer dommage, voire blesser un tiers. Ce cas est rare mais pas nul (dans une autre classe, le voilier de course Spindrift avait percuté un hors-bord lors d’un départ de course)

Pour le reste, libre au marin et à son équipe d’assurer ou non son bateau en cas d’accident, chavirage, ou perte totale. Et comme nous allons le voir ce type d’assurance est très spécifique et très cher. Les bateaux du Vendée Globe ont des assurances 100% spécifiques.

Breaking news ! le bateau de Kevin Escoffier, PRB, qui a coulé dans l’océan Indien n’était pas assuré. Comme le dévoile un article de Ouest-France, cet IMOCA de 2009 avait fait l’objet de restructuration lourde (ajout de foils) et avait une valeur estimée de 2M€. L’équation économique était simple : 2 millions d’euros en valeur marchande moins 700K€ de foils (pas assurables) moins 500K€ de mâts (pas assurables) moins 300K€ de voiles (pas assurables, non plus !) moins la franchise… reste pas grand chose ! Donc la décision est vite prise. Pas d’assurance pour un bateau de plus de 10 ans.

vendee globe chavirage le cam
Coque retournée – Chavirage Jean Le Cam 2008

Quelle différence avec une assurance de voilier traditionnel ?

Cela n’a rien à voir ! Comme une assurance voiture, le voilier de Monsieur Tout le Monde est assuré en responsabilité civile (pour les dommages causés aux tiers) et les pertes et dommages causés au bateau. La plupart des assurances autorisent également la participation à des régates amateurs, et la licence FFV (Fédération Française de Voile) qui est exigée, apportera en outre une assurance additionnelle.

L’activité régate professionnelle en revanche fait l’objet d’un contrat d’assurance totalement spécifique. Elle n’est jamais prise en charge par les assurances plaisance ou individuelle pour la RC. Il y a à chaque fois pour les régates pro une étude au cas par cas (type de régate, lieux de navigation, risques couverts…). Il y a en plus de très nombreuses exclusions..

Ce qui est assuré et ce qui ne l’est pas sur un voilier de course du Vendée Globe, en classe Imoca

Traditionnellement, et cela diffère en fonction des contrats, c’est essentiellement la coque incluant la quille qui est assurée, la structure même du bateau. Les mats et tout ce qui le soutient (le gréement dormant en langage maritime), les voiles, le gréement courant (bouts, drisses, manœuvres…) voire l’électronique de bord ne sont pas assurables de par leur fragilité. Les IMOCA, la classe des bateaux engagés dans le Vendée Globe sont de véritables formule 1 des mers à la sophistication extrême. Tout coûte très cher : un compas (la boussole) que vous payez 200€ sur un voilier de plaisance coûtera 10,000 € pour un gyro-compas satellitaire haut de gamme seul capable de bien vous guider dans les mers du grand sud

Combien coûte l’assurance d’un voilier du Vendée Globe ? 

Il n’y pas de liste de prix publique ! Mais l’excellent site spécialisé Tip & Shaft a mené l’enquête. Pour un bateau neuf de dernière génération, il faut compter de 10 à 12% de la valeur du bateau en prime annuelle (de 5 à 20% selon d’autres sources). Pour un bateau plus ancien, on peut diviser par 2. Cela donne donne donc une prime annuelle de 200,000 € pour un bateau un peu ancien à plus de 500,000 € pour les plus grosses écuries.  Une somme non négligeable qui conduit certains à ne pas s’assurer. En effet, l’assurance ne couvrant réellement que la perte totale (voir les franchises plus bas). Cela devient souvent le premier poste budgétaire pour une équipe du haut du panier du Vendée Globe. Ce montant est en forte augmentation : en 2008, l’assurance d’un voilier du Vendée Globe ne dépassait pas 200,000 €

Par ailleurs, les assureurs exigent souvent des conditions additionnelles. De sécurité bien sûr, de comportement en bon marin en cas de problème (et le premier est de contacter son assureur !) mais aussi de s’équiper d’un système OSCAR de détection des objets flottants (OFNI). Coût additionnel 25 K€ !

Le montant de la prime est calculé en fonction des paramètres suivants : la valeur du navire, l’équipe, les compétences et le passé du skipper, les statistiques de la classe, l’intérêt de l’assureur pour la pratique, les éventuels arrangements commerciaux tels que le placement d’image, le propriétaire du navire, les besoins de financement des assureurs (source : bateaux.com)

Photo-des-Skippers-vendee globe 2020

Un point sur les franchises

Les franchises sont très importantes. De 150,00 à 500,000 € pour les bateaux les mieux assurés. De tels niveaux de franchise impliquent donc que seule la perte totale est de facto assurée. Pourtant l’accastillage d’un voilier de course coûte très cher . Cela conduit à la situation paradoxale qu’un bateau qui démâte, qui est fort abimé et dont le skipper se bat pour le ramener à bon port par ses propres moyens (mais avec des frais considérables pour le remettre en état, voire le rapatrier) ne touchera rien. S’il abandonne le bateau et qu’il coule et qu’il y a perte totale, il sera remboursé. C’est arrivé à Stéphane Le Diraison lors du Vendée Globe 2016 qui s’est battu pour ramener son bateau. Kito de Pavant n’a pas eu cette chance : il a perdu son bateau dans le grand sud en 2016.

Qui assure les bateaux du Vendée Globe ?

La voile de haut niveau a traditionnellement été un terrain fort prisé par les assureurs. GAN ou Generali, SMA il y a quelques années, Macif, Corum, MACSF, Apivia, Apicil, Banque Populaire, Crédit Mutuel Arkea .. aujourd’hui. Pourtant aucun sponsor assurance n’assure son propre bateau ! Paradoxal ? Pas tout à fait…

Le marché de l’assurance du voilier de course est un micro-marché. Le principe de l’assurance est de mutualiser un risque. Le problème avec 33 concurrents au départ du Vendée Globe 2020, on n’est plus dans la mutualisation mais dans le cas par cas, l’inverse même du principe assuranciel. Certes, comme le faisait remarquer sur LinkedIn Hervé Barrois de CCR, « par définition les « risques spéciaux » d’une façon générale sont uniques. C’est ce qui explique le niveau de prime élevée. Mais pour autant ce n’est pas un pari. Cela reste de l’assurance et la mutualisation est opérée par l’assureur avec d’autres risques. En outre, la réassurance divise le risque et limite les engagements au net« .

Le nombre d’acteurs prêts à assurer ces Formule 1 de grand large a toujours été réduit. Après le départ de Hiscox, un seul acteur reste présent Pantaenius dont le cœur métier est l’assurance maritime privée (yachts, super-yachts, bateaux à moteur et donc voiliers…).  Pantaenius GmbH est associé avec Heath Lambert Group, et fait partie des 5 plus grands courtiers d’assurances transports dans le monde. Pour le marché de la course au large, un consultant indépendant en risque spécifique, René Pirlot, patron de Tolrip fait l’intermédiaire. Tolrip est un « Specialty Insurance Broker & Risk Manager », un broker belge positionné sur cette assurance de spécialité  hautement compétent et respecté dans ce petit monde de le course océanique. Depuis 2010, M. Pirlot est même le risk manager de la classe Imoca.

Et c’est une histoire de famille, le fils de René Pirlot, Christophe Pirlot a même donné une interview très instructive au site Bateaux.com. Il explique notamment « Nos partenaires assureurs ne sont que des entreprises qui ont l’assise financière pour financer leurs engagements. Et aucun des navires de la course n’est pris en charge par une unique compagnie. Les montages incluent systématiquement plusieurs sociétés parmi les plus grosses du secteur, Britanniques ou Allemandes pour la plupart. En effet, plus aucun assureur français ne veut couvrir la course au large […] Les augmentations de primes sont donc le mal nécessaire pour que les assureurs continuent de pratiquer leur métier, permettre à ceux qui osent d’oser«  »

assurance bateau vendee globe pantaenius le specialiste course au large

Des relations parfois houleuses entre les assureurs et les marins

Les montants engagés, la compétition de haut niveau et les fortunes de mer font que la relation peut devenir très compliqué entre l’assureur et le navigateur. Ainsi, en 2009, Jean Le Cam sur VM Matériaux chavire au large du cap Horn. Vincent Riou sur PRB vient le secourir mais comble de malchance démâte quelques heures plus tard. Mais qu’est-il devenu de VM Matériaux, nul ne le sait. Quelques mois plus tard, Jean Le Cam assigne son courtier (Siaci) et son assureur russe en justice car le remboursement traîne. En première instance, il est débouté par le tribunal de commerce. L’affaire sera ensuite réglée entre les parties probablement par un accord.

Mais cela montre que la relation n’est jamais un long fleuve tranquille entre marins de course au large et assureurs

coque retournee jean le cam vendee globe 2008
Naufrage Jean Le Cam – VG 2008

Récupérer son bateau après un naufrage

Contrairement à ce qu’on peut croire, les bateaux de courses coulent rarement. Même abandonnés et démâtés, ils peuvent dériver des mois, voire des années. Vues les valeurs d’assurance et intrinsèques des embarcations, il est donc intéressant de récupérer la coque même en fort mauvais état. Tordons tout de suite le cou à une légende, « le premier qui monterait sur un bateau en deviendrait instantanément propriétaire » ! C’est un peu plus compliqué que cela, il faut au préalable qu’une déchéance de propriété soit prononcée. Mais si un Imoca de 5 M€ chavire, il y a alors une logique économique et écologique à le récupérer. Selon les principes en marine, il y a quatre façons d’organiser un sauvetage :

  • Affréter un remorqueur, sans obligation de résultat
  • Envoyer un bateau en le payant au résultat
  • Le « no cure, no pay » : pas de bateau récupéré pas de prime
  • Mettre « aux enchères » un contrat bien payé pour le sauvetage du navire, en mode « chasseur de primes »

Un acteur a émergé lors des 10 dernières années : Adrien Hardy, qui part sur son voilier, récupérer le voilier de course abandonné et le restituer à son armateur ou propriétaire contre une rémunération. Il a déjà quelques beaux succès à son actif.

Qui sont les assureurs sponsors de bateaux pour le Vendée Globe 2020 ?

On compte 4 représentants de l’assurance et bancassurance lors du Vendée Globe 2020. C’est plutôt moins que lors des autres éditions, MACIF et SMA ayant cessé leur présence par exemple.

  1. Isabelle Joschke sur GROUPE MACSF
  2. Clarisse Crémer sur Banque Populaire
  3. Charlie Dalin sur Apivia Mutuelle
  4. Damien SEGUIN sur APICIL

Les faits de course sur le Vendée Globe 2020 – Abandons, naufrages et fortunes de mer

Le premier marin à avoir abandonné a été Nicolas Troussel sur Corum L’Epargne. Démâtage au large du Cap Vert qu’il a pu rejoindre par ses propres moyens. Typique du cas où l’assurance n’entre pas en jeu. Alex Thomson a suivi avec un choc contre un OFNI après avoir été confronté à des dommages structurels. Il regagne Le Cap par des propres moyens.

Plus inquiétante est l’info tombée en milieu d’après-midi le 30 novembre avec Kevin Escoffier sur PRB qui a lancé un Mayday (message de détresse avec risque vital). Jean le Cam s’est dérouté et a repéré Kevin Escoffier sur son radeau de survie. Aucune nouvelle du bateau PRB pour le moment. Ancien Imoca de Vincent Riou, ce plan du duo d’architectes Verdier-VPLP est réputé pour sa robustesse. Kevin Escoffier est maintenant à bord sain et sauf de l’Imoca de Jean le Cam. Le récit glaçant du naufrage est à lire.

Le 5 décembre a vu l’abandon successivement de Samantha Davies sur Initiatives Cœur et Sébastien Simon sur Arkea-Paprec. L’un comme l’autre ramènent le bateau en état de navigation au Cap en Afrique du Sud. Il est à noter qu’en cas de retour par cargo, l’assureur ne prend en charge aucun frais (Sébastien Simon dans Ouest France).

Le 11 décembre, c’est Fabrice Amadeo qui jette l’éponge suite à un problème informatique à bord.

naufrage PRB Kevin Escoffier
video naufrage kevin escoffier PRB imoca

Quelques exemples de naufrages avec perte totale ou partielle du voilier de course

Banque Populaire IX – Ultim presque neuf (estimé à plus de 10 M€) en perte totale après son chavirage.

maxi ultim banque populaire IX apres chavirage

Cheminées Poujoulat concurrent du Vendée Globe 2012

fortune de mer cheminees poujoulat imoca

Hugo Boss – Helitreuillage et abandon du bateau (récupéré quelques semaines après)

Exemples de démâtage et navigation sous gréement de fortune – Sauf contrat spécifique, la perte du mât n’est pas assurée

exemples de dematage imoca vendee globe et autres courses