Chapitre 3 : IA et assurance. La France et ses 4 fantastiques

Chapitre 3 : IA et assurance. La France et ses 4 fantastiques

Emilie Autin
Rédigé par Emilie Autin
24 août 2021 - 9 minutes

C’est aujourd’hui une évidence : l’intelligence artificielle va largement redessiner notre société, dans de nombreux domaines. Mais sur le terrain, comment cette révolution prend-elle forme ? Pour bien comprendre les enjeux au sein de l’assurance, nous sommes allés à la rencontre de ces entreprises qui font aujourd’hui de l’IA pour le secteur. 

Elles s’appellent Shift Technology, Akur8, Zelros ou Golem.ai. La pertinence de leurs solutions séduit un nombre grandissant de clients et leur confère une renommée qui croît de manière exponentielle. Toutes ont gentiment accepté de nous dévoiler les secrets de leurs algorithmes. Prenez votre respiration : on vous embarque à la découverte de ces prouesses technologiques qui bousculent déjà complètement l’assurance et ses usages. 

Zelros, ou l’hyperpersonnalisation de l’expérience client

L’histoire de Zelros commence de manière assez classique. Après avoir sondé plusieurs niches pour proposer son produit, l’équipe accorde son attention au milieu de l’assurance. Sa prometteuse technologie semble en effet tout particulièrement adaptée aux besoins d’un secteur qui cherche à enclencher la vitesse supérieure en matière de transformation digitale. Cette jeune insurtech se positionne en effet sur un segment clé de la chaîne de valeur : la partie distribution des offres pour les assureurs, avec la promesse de les simplifier et de les personnaliser.

L’expérience pénible des clients pour souscrire une offre d’assurance, qui n’échappe pas à bien des égards à la caricature, change radicalement de dimension avec Zelros. En effet, l’IA ambitionne de rendre simple et compréhensible ce qui est habituellement complexe pour le client, à savoir ces produits incompréhensibles, garnis d’options indigestes et de tableaux à rallonge, qui agissent comme un véritable repoussoir. “Nous, ce que permet notre IA, c’est de rendre cette complexité (des produits d’assurance) simple en hyperpersonnalisant le contexte. On passe d’un mode de distribution de l’assurance d’un produit vendu sur étagère à un mode de fourniture basé sur les problèmes que l’on peut résoudre pour l’assuré”, explique Christophe Bourguignat, CEO et confondateur de l’assurtech.

En analysant les conditions de vie de l’assuré par exemple, Zelros peut lui proposer le produit et les prix les plus adaptés. Que vous habitiez en ville ou à la campagne, dans un pavillon avec jardin ou un appartement, proche ou loin d’un hôpital, l’algorithme est capable de mixer ces informations pour donner à votre assureur les moyens de répondre très précisément à vos besoins. Brillant !

Et ce n’est qu’un aperçu de la puissance des produits Zelros, qui a notamment imaginé pour AssurOne un outil capable d’authentifier les cartes grises à la vitesse de l’éclair. Pour le courtier, le processus passe de 3 minutes à 10 secondes : rapporté au nombre de documents à traiter, le gain devient vite immense !

Finalement, cette intelligence artificielle fait gagner du temps à tous les échelons de la chaîne. Elle permet surtout aux assureurs de retrouver leur place. En se débarrassant des tâches chronophages, ils peuvent se focaliser sur la relation humaine avec les clients. L’empathie et l’émotionnel retrouvent ainsi la place centrale qu’ils auraient dû garder dans l’assurance. Ici, la technologie inaugure l’ère d’un assureur augmenté, enfin capable de répondre aux attentes d’un consommateur 2.0 de plus en plus exigeant.

Golem.ai, ou l’extraction d’informations en temps record

Thomas Solignac, CEO de Golem.ai

Emails, SMS, documents officiels, rapports d’expertise, certificats médicaux… La plus grande source de données des entreprises provient du texte, mais cette manne est aussi la plus complexe à traiter pour les machines. C’est donc à ce défi que s’est attaqué Golem.ai, en imaginant une IA capable d’analyser et d’extraire des informations précises depuis cette source sans fond.

Autre particularité, Golem.ai a développé sa propre approche technologique, qui ne répond pas au principe très largement répandu de machine learning. Pour rester simple, leur intelligence artificielle répond davantage à un principe de modélisation et tend la main à d’autres disciplines. “On va s’appuyer sur les sciences humaines, sur de la logique, sur de la représentation des connaissances, pour vraiment créer un raisonnement. On est plus proche de ce qu’on appelle une IA, avec une vraie intelligence artificielle”, nous a ainsi expliqué Thomas Solignac, le CEO et l’un des cofondateurs de la jeune entreprise.

L’intelligence artificielle devient alors un vrai raisonnement artificiel. Cette technique est surtout d’une transparence et d’un déterminisme impressionnants. Petit bonus, ce modèle permet de consommer très peu, voire pas de données, et donc moins d’énergie. Il séduit ainsi de nombreux clients pourvus de stricts critères éthiques, comme les assureurs, forcément impliqués dans les problématiques liées au climat et à la RSE, mais aussi le Ministère des Armées.

Cette IA semble presque trop belle et perfectionnée pour être vraie. Et pourtant, elle fonctionne ! Thomas Solignac nous l’illustre à travers un exemple concret. Un assureur doit traiter les documents d’un de ces assurés qui a dû effectuer plusieurs séjours à l’hôpital. Sur les documents, des dates successives vont être reconnues par l’algorithme, pour identifier précisément les différentes périodes d’hospitalisation. La solution de Golem va donc déterminer le nombre de jours passés à l’hôpital en un temps record, bien plus rapidement que si un humain l’avait fait à la main. Le traitement automatique de cette donnée accélère donc le processus de remboursement de l’assureur tout en le débarrassant d’une tâche rébarbative et chronophage. L’IA remplit ici avec brio sa mission première en impulsant une dynamique favorable à tous sur la chaîne de valeur.

Shift Technology, ou la détection automatique de fraudes

Shift Technology
Eric Sibony, Jérémy Jawish et David Durrleman, les trois fondateurs de Shift Technology

Le domaine de la fraude à l’assurance compte deux sortes d’experts : ceux qui les commettent sans se faire attraper, et ceux qui les débusquent. Les gendarmes commencent progressivement à se montrer de plus en plus efficaces avec notamment l’aide d’un nouvel allié de poids : l’intelligence artificielle. Une entreprise se démarque sur ce sujet : la pépite Shift Technology, fondée en 2014, et qui a fait son entrée cette année dans le cercle encore très fermé des licornes de l’insurtech tricolore.

La startup, maintenant déployée à l’international, a commencé par proposer des modules détectant les fraudes sur des sinistres de base, comme des dégâts des eaux ou des accidents de la circulation. Par exemple, imaginons qu’un assureur ayant adopté la solution de Shift reçoive une demande d’indemnisation à propos d’un dégât des eaux survenu au domicile d’un de ses clients. Ce dernier fournit donc une photographie comme preuve des dégâts. C’est là que l’intelligence artificielle entre en jeu. Le cliché va être analysé afin de chercher plusieurs choses. Est-ce une photo trafiquée ? Cette photo est-elle présente dans d’autres déclarations de sinistres ? Montre-t-elle un dégât des eaux existant déjà dans la base de données, mais sous un angle différent ? Au final, l’IA donnera un avis étayé avec des détails très précis à l’expert, qui prendra la décision finale.

Aujourd’hui, Shift Technology a étendu son arsenal à de nombreux sujets et est en mesure d’offrir ses services en SaaS. “On s’est rendu compte qu’on utilisait de l’IA pour plus, et qu’on pouvait donc faire plus pour nos clients”, résume Arnaud Grapinet, Chief Data Scientist chez la licorne. A présent, Shift permet de vérifier dès la souscription le risque de fraude. De nouvelles solutions appuient les assureurs dans l’automatisation du web digital journey des utilisateurs pour déclarer un sinistre. Cet outil permet aussi aux employés d’être plus rapides dans le traitement et le remboursement des sinistres.

Shift aide également les assureurs à déterminer leurs opportunités de recours, ou détecter du blanchiment d’argent. Le spectre des possibles s’élargit ainsi aussi vite que le développement d’un acteur qui s’impose de plus en plus comme une référence mondiale sur son domaine d’expertise.

Akur8, ou la modélisation algorithmique des risques

Akur8

Alors que tout semble déjà possible avec une intelligence artificielle, les assurtechs trouvent encore et toujours plus de moyens de nous surprendre ! C’est notamment le cas d’Akur8 qui participe à ce mouvement en proposant une nouvelle manière de modéliser les tarifs et les risques pour les actuaires.

La tarification et la modélisation des risques passent par beaucoup de calculs et d’algorithmes. Il est donc plutôt logique de chercher à déléguer ces opérations à des machines, et en particulier à des IA. L’ordinateur peut en effet tester en un temps record un nombre incroyable de possibilités, plutôt que de toutes les poser à la main. Grâce à la technologie, le processus de tarification complet ne prend donc plus que quelques semaines, au lieu de plusieurs mois. Les tarifs peuvent en outre être revus plus régulièrement, une méthode qui garantit des prix plus justes sur le long terme.

Cependant, gare aux mauvaises interprétations : les actuaires ne sont pas du tout remplacés par les algorithmes ! En effet, ils sont plutôt replacés au centre du processus. “On n’est pas dans une IA boîte noire qui fait tout, au contraire même ! On crée plutôt des actuaires augmentés qui peuvent aller plus vite et mieux, et se concentrer sur leur expertise qui est la partie la plus intéressante de leur métier”, résume Samuel Falmagne, CEO et cofondateur d’Akur8. En éliminant les tâches les moins valorisantes, l’actuaire peut se concentrer sur ses clients en sélectionnant les critères impactant l’algorithme et élaborer la meilleure solution.

Prenons l’exemple d’un modèle de risque déterminant la tarification d’une assurance auto. L’objectif consiste donc à modéliser la probabilité que l’assuré ait un accident dans l’année, et le montant qu’il faudra couvrir. Pour pouvoir déterminer cette somme, un grand nombre de points de données devront être pris en compte. L’IA ira chercher des éléments historiques, sur tous les clients du portefeuille, mais aussi des données liées à la souscription du client. Le modèle de la voiture, sa couleur, son ancienneté, l’âge du conducteur, son passif, le lieu d’habitation du propriétaire seront entre autres analysés. L’algorithme finit par modéliser une prime d’assurance, qui sera liée aux risques précis qui sont portés par une personne en particulier.

En 2021, Akur8 a pris son envol. La startup, élue “Insurtech de l’année 2020”, peut compter sur de nombreux partenariats dans l’Hexagone, mais aussi sur des alliés d’envergure en Europe. Nous pouvons par exemple penser à la licorne allemande wefox ou à Munich Re, un des plus grands réassureurs mondiaux. Après une levée de fonds de 30 millions d’euros en juin 2021, Akur8 semble aujourd’hui bien lancé sur la voie d’un grand succès international.

 

 

Ces quatre exemples prouvent la variété des possibilités offertes par l’intelligence artificielle appliquée à l’assurance, comme leur pertinence. Toutes ces jeunes pousses ambitionnent de continuer à révolutionner le secteur, et d’aller toujours plus loin. Du statut de licorne à celui de leader mondial, les startups de l’IA française ont clairement un bel avenir tracé devant elles.

Retrouvez les autres épisodes de notre grand enquête intitulée : « L’IA, une révolution dans l’assurance ? »

Chapitre 1 : Dessine-moi une IA. Réflexion sur les représentations de l’intelligence artificielle

Chapitre 2 : Dis Emilie, une IA, c’est quoi ? Des définitions pour bien comprendre