Le véhicule électrique, virage à 180° pour les assureurs ?

Le véhicule électrique, virage à 180° pour les assureurs ?

Alexandre Pengloan
Rédigé par Alexandre Pengloan
24 mars 2023 - 4 minutes

Le monde de la mobilité à la croisée des chemins. Depuis quelques années, les véhicules électriques prennent peu à peu place dans notre environnement. En 2022, 12% des voitures neuves vendues dans l’Union européenne étaient électriques, un nouveau record. Et il s’agit ici seulement des prémices d’une transition historique.

Un parc neuf 100% électrique en 2035, voilà l’objectif annoncé. Il ne concerne d’ailleurs pas uniquement l’Europe, des États américains ou la Chine travaillant sur les mêmes plans. Ce grand virage va profondément impacter l’industrie automobile, évidemment, mais également nombre de secteurs gravitant autour.

On pense bien entendu à l’assurance. Depuis toujours, les acteurs traditionnels ont sécurisé un gigantesque marché sans avoir à fournir trop d’efforts. Que va changer le véhicule électrique à ce système bien huilé depuis des décennies ? Tout, potentiellement ! Pour ceux qui n’auront pas bien anticipé le tournant, cela pourrait ainsi faire très mal.

Quand les assureurs traditionnels font fausse route

La révolution ne se fera pas du jour au lendemain, certes. Les assureurs historiques disposent encore d’une marge de manœuvre. S’ils parviennent à combiner efficacement leur savoir-faire assurantiel et les nouvelles possibilités offertes par la tech, ils demeureront certainement compétitifs. Mais pour certains, ce n’est pas ce qu’ils nous laissent entrevoir !

Dans notre dernier baromètre, on évoquait cette anecdote ubuesque narrée par Nigel Walsh. Le M. Assurance de Google nous racontait en effet l’histoire d’un assureur lui ayant demandé le prix de la… batterie, au moment d’établir un devis en ligne pour une voiture électrique.

Ce drôle de récit nous laisse à penser que de gros assureurs font fausse route sur le sujet. Un véhicule électrique ne s’assure pas comme un véhicule thermique. Ce serait une grave erreur de le penser – voir les insights de Munich Re sur ce point, notamment – , et de vouloir appliquer la même méthode pour le couvrir. D’autres réfléchissent d’ailleurs déjà à la meilleure manière d’adresser ce nouveau risque, et sont prêts à croquer dans le gâteau.

Tesla et cie prêts à prendre la pole !

Pour bousculer l’ordre établi, on pense bien entedu aux constructeurs automobiles. Ils possèdent au moins trois avantages sur la ligne de départ :

  • ils contrôlent l’accès à la donnée, sur la conduite comme sur l’état du véhicule. Le sujet des batteries, qui échaude les assureurs, cristallise bien les enjeux du moment.
  • grâce à cette data, ils sont capables de proposer des offres sur mesure, calibrées sur les usages et les comportements au volant, qui peuvent séduire de nombreux conducteurs.
  • ils se situent enfin en position de force dans le funnel de vente, en étant capables de pousser immédiatement le « service » assurance au moment de l’achat du véhicule.

L’exemple de Tesla est, à ce titre, déjà emblématique. On ne va pas revenir en détail sur le concept, une assurance basée sur le fameux ‘safety score’, ni sur les ambitions du toujours un poil mégalo Elon Musk. Regardons plutôt quelques métriques. En Chine, nous observons actuellement une tendance d’environ 10 000 nouvelles souscriptions hebdomadaires à l’assurance Tesla.

Aux États-Unis, on apprend que 17% des propriétaires de Tesla ont recours à une offre d’assurance made in Tesla.

Précision importante : outre-Atlantique, Tesla annonce 300M$ de primes annuelles… mais seulement 6,4M$ en direct. Ce sont donc les assureurs tiers comme Markel et State National qui portent la majorité des risques ici. L’assurance reste ainsi pour le moment un laboratoire pour le constructeur. Pas encore une priorité, donc, mais la donne pourrait rapidement changer.

Le portage de risque et le modèle embedded comme salut ?

Derrière la façade, ce sont donc toujours les assureurs traditionnels qui sont à l’œuvre. Et si l’avenir, pour eux, se dessinaient autour du portage de risque plutôt que de la distribution en direct ? A terme, si les constructeurs décident d’accélérer, ils auront en effet toutes les difficultés du monde à conserver leur légitimité et leur monopole. D’autant que des insurtechs viennent également jouer les trouble-fête.

En France, des jeunes pousses comme Joltee ou Flitter, par exemple, ont déjà propulsé sur le marché des produits intéressants à plus d’un titre. Ces startups ne vont pas faire tomber les géants, mais elles ont clairement une belle carte à jouer. Surtout si elles sont capables de tirer tout le potentiel du modèle embedded.

🚘 Une secousse dans l’assurance auto ! | Itw de Soundar Adavane et Florent Sejour de Joltee

2022 a, en effet, confirmé toute la pertinence de recourir au modèle embarqué dans l’assurance. La technologie arrive à maturité. Avec les API, notamment, il devient très simple de câbler les offres au bon endroit dans les parcours. L’histoire de Root, qui essaie de sauver les meubles en misant désormais tout ou presque sur son partenariat avec Carvana, est à ce titre édifiante.

Les assureurs traditionnels doivent aussi considérer avec la plus grande attention ce nouveau mode de distribution, dont la croissance est exponentielle. La révolution technologique et la transition enclenchée au niveau de la mobilité – avec une diminution croissante de l’usage de la voiture confirmée dans un futur proche ? – sont en train de complètement bousculer l’ordre établi dans un paysage de l’assurance auto figé depuis longtemps. Le secteur est lancé dans un virage à 180°, propice à provoquer de sérieux changements lors du prochain passage sur la ligne d’arrivée.